Zanthoxylum fagara, une plante medicinale et melifère à explorer ensemble

Apiculteurs, guérisseurs, paysagistes, investisseurs… Unissons nos savoirs pour mieux protéger et valoriser cette espèce.

Le Fagara (Zanthoxylum fagara) est une plante que j’ai eu l’occasion d’observer à plusieurs reprises à travers Haïti, du nord au sud. Cependant, c’est le 21 avril 2024 à Limonade qu’elle a véritablement retenu mon attention. Ce jour-là, un arbuste entièrement recouvert de petites fleurs jaunes était littéralement assailli par des abeilles, dont le bourdonnement constant témoignait d’une activité pollinisatrice intense. Cette observation a immédiatement suscité mon intérêt pour son potentiel mellifère.

Face à cette situation inhabituelle, je me suis approché afin d’examiner de plus près l’interaction entre la plante et les pollinisateurs et de recueillir des données utiles. Ma première hypothèse fut qu’il s’agissait de Haematoxylum campechianum (campêche), une espèce exotique bien connue en Haïti pour ses inflorescences jaunes abondantes, riches en nectar et très attractives pour les abeilles. Cependant, en m’approchant, il s’est avéré qu’il s’agissait bien de Zanthoxylum fagara.

Pour explorer ses valeurs mellifères, j’ai entrepris une recherche bibliographique afin de mieux documenter les propriétés de cette espèce. À ma grande surprise, très peu de données sont disponibles concernant son intérêt apicole. Pourtant, mes observations de terrain à Limonade révèlent une fréquentation intense par les abeilles durant la floraison, ce qui suggère un rôle écologique et apicole important. Ce constat souligne la nécessité de mieux étudier et valoriser cette espèce dans les stratégies locales de développement des plantes mellifères.

Description botanique

Le Fagara (Zanthoxylum fagara) est un arbuste ou petit arbre de la famille des Rutaceae, généralement haut de 4 à 10 mètres. Il présente un port buissonnant ou arborescent. Les feuilles sont composées de 5 à 9 folioles ovales à elliptiques, à texture coriace et à odeur citronnée lorsqu’elles sont froissées. Les rameaux portent des épines acérées, conférant à la plante une protection contre l’herbivorie et la rendant adaptée à la constitution de haies naturelles.

Les inflorescences, en grappes terminales, regroupent de nombreuses petites fleurs jaunes, abondantes en période de floraison. Zanthoxylum fagara est une espèce à feuillage persistant, offrant un abri à la faune locale, notamment aux papillons et aux abeilles.

La distribution de cette espèce s’étend aux régions tropicales et subtropicales des Amériques : Caraïbes, Amérique centrale, Amérique du Sud et sud des États-Unis (Floride, Texas). Les noms vernaculaires varient selon les régions : « wild lime » ou « lime prickly-ash » dans les pays anglophones, « Alba » en République dominicaine, « Amoroso » à Cuba, et « Bois Pikan » en Haïti.

Usages Multiples : Au-delà du Potentiel Mellifère

D’un point de vue ethnobotanique et pharmacologique, Zanthoxylum fagara est une espèce prisée dans les Caraïbes et en Amérique latine. Traditionnellement, elle est employée comme plante aromatique et médicinale, entrant dans la composition de tisanes. L’écorce, les feuilles et les racines sont utilisées en médecine populaire, bien que la documentation scientifique internationale sur les usages précis et les indications thérapeutiques reste à approfondir. Néanmoins, des analyses phytochimiques ont identifié dans les huiles essentielles extraites de ses feuilles des composés actifs tels que le citronellol, le géraniol et le citronellal, reconnus pour leurs propriétés antimicrobiennes et antifongiques.

De manière significative, une étude publiée en 2011 dans la Revista Cubana de Plantas Medicinales par Macías et al. a mis en lumière le potentiel remarquable de l'extrait éthanolique de l'écorce de Zanthoxylum fagara. Cette recherche a révélé des activités antioxydante (avec une inhibition allant jusqu'à 92,5 % à 1000 ppm contre le DPPH), anti-inflammatoire (avec une inhibition de 45,3 % de l'œdème auriculaire chez la souris) et antiproliférative modérée contre la lignée de cellules cancéreuses leucémiques K562 (avec une inhibition de 55,5 %). L'analyse phytochimique préliminaire de cet extrait, publiée dans la Revista Cubana de Plantas Medicinales, a également révélé la présence de divers métabolites secondaires bioactifs, notamment des alcaloïdes, des flavonoïdes, des tanins et des terpènes, qui pourraient être responsables de ces activités pharmacologiques prometteuses.

Cependant, il est crucial de souligner que la pleine mesure de la valeur médicinale, mellifère, aromatique et de la capacité de résilience de Z. fagara requiert encore de nombreuses études approfondies. Je tiens à remercier vivement la Revista Cubana de Plantas Medicinales pour sa contribution essentielle à l'approfondissement des connaissances sur cette espèce. Dans cette optique, j’invite chaleureusement toutes les personnes ou communautés ayant une expérience directe avec le Z. fagara à partager leurs connaissances et leurs observations, contribuant ainsi à enrichir notre compréhension collective de cette espèce et à encourager son utilisation durable au profit des populations locales.

Conservation : Un Statut Global à Nuancer Localement

Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), Zanthoxylum fagara est classé « préoccupation mineure » (Least Concern) à l’échelle mondiale, reflétant sa large distribution et la stabilité globale de ses populations. Toutefois, ce classement ne reflète pas nécessairement la réalité locale de l’espèce. Chaque pays doit mener des études spécifiques pour évaluer l’état réel de ses populations et adapter, si nécessaire, son statut dans la liste rouge nationale.

En Haïti, par exemple, les observations de terrain montrent que Z. fagara n’est présent que dans quelques zones sèches, avec des populations souvent très limitées. Cette situation souligne l’importance d’intensifier les inventaires locaux et de mieux documenter la dynamique de l’espèce, afin de permettre une classification adaptée à la réalité nationale et de garantir une conservation efficace.

Perspectives : Un Appel à l'Action Pluridisciplinaire

À l’approche de la Journée mondiale des abeilles (20 mai) et de la Journée internationale de la biodiversité (22 mai), je saisis cette opportunité pour lancer un appel à la réflexion et à l’action auprès des apiculteurs, des guérisseurs traditionnels, des paysagistes et de tous les passionnés de biodiversité concernant cette espèce d’une importance capitale : Zanthoxylum fagara. Il est désormais essentiel d’étudier en profondeur la valeur de cette plante sous toutes ses facettes, qu’elles soient apicole, médicinale, aromatique ou écologique, afin de mieux la valoriser et d’assurer sa conservation pour les générations futures.

J’espère vivement que d’autres experts, chercheurs et praticiens se joindront à cet effort en partageant leurs expériences et leurs observations, contribuant ainsi à enrichir nos connaissances collectives et à rendre cet article encore plus pertinent pour le bien-être de nos communautés. Ensemble, portons un regard neuf sur Zanthoxylum fagara, reconnaissons la richesse de ses composés chimiques et aromatiques, et œuvrons collectivement pour sa valorisation durable.

Références

1. Macías, V.V.E., Coy, B.E.D., Cuca, S.L.E. (2011).Análisis fitoquímico preliminar y actividades antioxidante, antiinflamatoria y antiproliferativa de los extractos etanólicos de la corteza de Zanthoxylum fagara (L.) Sarg. (Rutaceae).Revista Cubana de Plantas Medicinales, 16(2), 151-163.Lire l’article (PDF)

2. Plants of the World Online – Royal Botanic Gardens, Kew.Zanthoxylum fagara (L.) Sarg.Consulter la fiche botanique

3. Frontiers in Pharmacology (2021).Zanthoxylum Species: A Review of Traditional Uses, Phytochemistry and Pharmacology.Lire l’article complet